Doit-on forcément être heureux au travail ?

S’occuper du bonheur de ses salariés est un phénomène récent dans le monde du travail. Cela porte un nom : le hapiness management (management du bonheur en français).

Cette technique de management s’est concrétisée par l’arrivée de chief happiness officers (responsables du bonheur en français) et avec eux l’installation d’espaces de travail ludiques, voire de baby-foot, toboggans ou de salles de sport privées.

Si le hapiness management permet de remettre le bien-être des salariés au cœur des préoccupations des employeurs, ne comporte t-il pas des risques ? Pour le professeur de management Thibaut Bardon, auteur du livre « Les entreprises s’occupent de votre bonheur pour votre plus grand malheur », imposer une certaine vision du bonheur peut créer des tensions ou même mener à des phénomènes de burn out et n’apporte pas nécessairement à chacun ce qu’il recherche au quotidien dans son travail : du sens.

Mais pourquoi cela a-t-il été mis en place ? On peut supposer que c’est pour rendre les gens plus productifs, en augmentant leur niveau d’engagement ou motivation.

 

Selon une étude réalisée par Andrew J. Oswald de l’université de Warwick  en 2014,  se sentir heureux au travail augmenterait en effet notre productivité de 12%.

Mais d’’après Thibaut Bardon, « D’un point de vue économique, on peut questionner la rationalité de ces démarches. De fait, alors qu’elles peuvent mobiliser des ressources financières, humaines et même techniques importantes, il n’y a pas de consensus sur le fait que ces initiatives améliorent la performance économique des entreprises. Pire, les études sont contradictoires sur le fait que des salariés heureux seraient plus performants que les autres. Le bonheur ne fait donc pas nécessairement recette et peut même se révéler coûteux pour les entreprises qui investissement massivement dans le bonheur de leur salariés ».

 

 

 

Deux collaborateurs qui travaillent devant leur ordinateur. Ils n'ont pas de bouches

Ajoutons qu’il y a des personnes dont la définition du bonheur ne passe pas par une maximisation des plaisirs ou minimisation de la souffrance. C’est souvent une vision hyper-normée du bonheur qui est établie alors que la définition du bonheur est une question très personnelle.

On le voit en Suisse où le nombre de chief hapiness reste relativement faible et concerne souvent un poste à mi-temps. Dans un article de « Le Temps » de fin 2021, on nous présente le parcours d’une chief hapiness dont le rôle, explique t-elle, est d’organiser des événements, des repas à thème,  des escape game  afin de créer du lien, détendre et amuser les salariés. Elle raconte qu’avec la crise sanitaire , elle a mis en place des cafés virtuels qui permettaient aux collaborateurs de mieux s’exprimer ou de participer à des jeux en ligne.

Mais si cela se vit un peu comme une mode aujourd’hui, dans les entreprises,  ne serait-ce pas plutôt que cette pratique ne répond pas réellement à ce que l’on recherche dans le travail, à savoir LE sens ?

 

Avant la révolution industrielle beaucoup de métiers avaient naturellement du sens : les artisans, les agriculteurs aidaient les humains au quotidien (nourrir la population ou bien produire des objets que l’on utilise tous les jours). De plus, l’artisan voit le fruit de son travail qui est le produit fini, ce qui est valorisant.

Avec la révolution industrielle, les tâches sont divisées au milieu du 18ème siècle, l’employé n’est plus qu’un rouage dans une machine très productive.

Le travail perd de son sens.

Au 19ème on voit apparaitre le paternalisme industriel pour pallier notamment à ce manque de sens. Les entreprises fournissent logement, éducation, loisirs en échange de la reconnaissance et de l’obéissance des salariés. Finalement, sous une forme, le hapiness management ne pallie t-il pas aussi au manque sens ?

 

Des risques existent sans doute : le salarié peut vivre le hapiness management comme une pression, il  se sent obligé de participer à un certain nombre d’évènements comme un apéro after-work, des rencontres sportives entre collègue etc… S’il ne le fait pas il est considéré comme  un rabat-joie ou une personne peu sociable. A l’inverse un salarié  surinvestira son travail  au détriment d’un équilibre dans sa vie privée.

Ces techniques de management peuvent aussi conduire à un « Brown out », moment où  le salarié ne donne plus de sens à son travail. « Le brown out est la perte d’énergie au travail, les salariés ne sont pas particulièrement motivés ou engagés au sein de l’entreprise», selon André Spicer, chercheur anglais spécialiste des comportements en organisations..

 

Alors certes, le hapiness management permet de prendre en compte la dimension du bien-être au travail, ce qui est important, mais  rendent-ils pour autant  les salariés plus heureux au travail ? On peut se poser la question, surtout si ce « bonheur » devient implicitement obligatoire et que sens et goût du travail,  désir d’apprendre ou de se former,  stimulation intellectuelle , personnalité et aspiration de chacun ne sont pas pris en considération dans le management.

Le challenge des entreprises en 2022 ne serait-il pas d’apporter du sens au travail afin de créer de l’engagement et de la motivation auprès des collaborateurs ?

 

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